Une déclaration du président Évariste Ndayishimiye, tenue en réponse à un appel à plus d’intégrité dans les nominations publiques, a provoqué un tollé. Face à la suggestion du président de l’OLUCOME, Gabriel Rufyiri, de privilégier les personnes honnêtes dans les hautes fonctions, le chef de l’État a répondu en affirmant qu’il est désormais vain de chercher des individus intègres au Burundi. Une sortie qui a choqué, suscité le débat et que nous avons soumise à une vérification factuelle.
Le 6 juillet 2025, lors de l’émission « Ku Kivi », Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), a exhorté le chef de l’État à nommer des responsables reconnus pour leur probité. Il dénonçait une gouvernance minée par le favoritisme et un affaiblissement moral au sein des institutions.
La réaction du président Évariste Ndayishimiye a surpris : « C’est une peine perdue si tu cherches encore des personnes honnêtes au Burundi (…) La fidélité, c’est le manque d’occasion seulement. Il se présente aujourd’hui comme un mouton, mais arrivé au poste, il devient un loup. »
Ces propos ont été interprétés par de nombreux Burundais comme une généralisation selon laquelle l’honnêteté aurait disparu du pays. Une telle déclaration soulève de sérieuses questions : le président exagère-t-il ? Existe-t-il encore des personnes intègres au Burundi ?
Des témoignages qui contredisent les propos présidentiels
Contrairement au discours du chef de l’État, plusieurs témoignages attestent de la présence de personnes intègres, y compris au sein même des institutions étatiques.
Un ancien cadre du CNDD-FDD confie sous anonymat : « Le Burundi est plein de personnes intègres, mais elles sont ignorées. Je ne citerai pas de noms, mais je suis capable d’en désigner, que ce soit dans le CNDD-FDD ou en dehors. »
Ce témoignage met en lumière un problème systémique : ce n’est pas l’absence de probité qui pose problème, mais l’invisibilisation délibérée des personnes honnêtes.
Même son de cloche du côté d’une ancienne membre de la ligue des femmes “Abakenyererarugamba” : « Qu’il cesse de faire croire qu’au Burundi il n’y a pas de personnes honnêtes. Il a simplement peur de nommer des gens qui ne cautionnent pas ses mensonges. »
Elle critique aussi la composition actuelle du gouvernement, qu’elle estime dénué de repères moraux.
Un exemple emblématique d’intégrité : le procureur Léonard Nduwayo
L’histoire récente offre des exemples concrets d’intégrité, à l’image du procureur Léonard Nduwayo, en poste sous la présidence de Michel Micombero.
Alors que l’exécutif lui ordonnait de maintenir certains prisonniers en détention, Nduwayo choisit de respecter la loi en procédant à leur libération, jugeant leur détention arbitraire. Cet acte de courage est relaté notamment par Pierre Claver Mbonimpa, militant des droits humains, lors d’une émission sur Télé Renaissance.
L’exemple de Nduwayo rappelle que des fonctionnaires intègres ont existé, et existent encore. Leur honnêteté ne fait pas défaut, mais elle est trop souvent marginalisée, voire découragée.
Un discours récurrent de défaitisme moral
Ce n’est pas la première fois que le président Évariste Ndayishimiye tient des propos généralisants et empreints de cynisme sur ses concitoyens. Cette posture pourrait servir, selon certains analystes, à justifier :
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Le laxisme dans les nominations,
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Une tolérance manifeste envers la corruption,
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Et un rejet systématique des critiques internes comme externes.
En minimisant l’existence d’individus intègres, le président déresponsabilise les élites, démoralise les citoyens honnêtes, et sape davantage la confiance dans l’appareil étatique.
Nominations fondées sur la loyauté, non sur la compétence
Depuis l’arrivée au pouvoir du CNDD-FDD, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer un système de nominations basé sur la loyauté personnelle ou partisane.
Gabriel Rufyiri le souligne : la compétence et l’intégrité ne sont plus les critères prioritaires.
Ce clientélisme, s’il se poursuit, risque d’aggraver la crise multidimensionnelle que traverse le pays : économique, sociale et politique.
Conclusion : une affirmation infondée et dangereuse
Non, il n’est pas vrai qu’il n’existe plus de personnes honnêtes au Burundi.
Des témoignages crédibles, ainsi que des exemples historiques et actuels, démontrent que des hommes et des femmes intègres sont bel et bien présents dans la société burundaise, y compris dans les institutions. Le problème n’est pas leur inexistence, mais leur exclusion.
En affirmant que « faire le bien est une surprise », le président alimente une culture de résignation et d’impunité. Ce discours affaiblit l’exigence d’exemplarité au sommet de l’État et mine les efforts de réforme.
Plutôt que de généraliser négativement, il serait temps que le pouvoir burundais valorise et promeuve les modèles d’intégrité existants. C’est en s’appuyant sur ces figures d’honnêteté que le pays pourra restaurer la confiance populaire et construire un véritable État de droit.
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Photo : Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME) lors de l’émission Ku Kivi diffusée sur les chaînes nationales le 6 juillet © DR