Avec plus de 100 milliards de francs burundais mobilisés, les projets agricoles PATAREB et PADCAE-B avaient pour ambition de transformer l’agriculture dans le nord du Burundi. À l’approche de leur clôture prévue pour 2026, de nombreux témoignages évoquent des infrastructures abandonnées, des équipements non utilisés, et une gestion jugée opaque. Ces allégations sont-elles fondées ? Cette enquête fact-checking s’appuie sur des sources officielles, des témoignages et des constats de terrain pour en vérifier la véracité.
Lancé en 2018, le Projet d’Appui à la Transformation de l’Agriculture dans la région Buragane (PATAREB) est complété par le Projet d’Appui au Développement des Chaînes de valeur Agricoles et de l’Entrepreneuriat rural au Burundi (PADCAE-B). Ces deux initiatives, financées par des partenaires internationaux tels que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD) et le Fonds international de développement agricole (FIDA), visent à moderniser le secteur agricole dans plusieurs provinces du nord. Le budget combiné dépasse les 100 milliards de francs burundais.
Toutefois, plusieurs alertes sont venues remettre en question l’efficacité de ces projets. À Gashikanwa, Kiremba, Gashoho, Vumbi et dans d’autres communes, des infrastructures construites dans le cadre de ces programmes sont aujourd’hui inutilisées, inachevées ou totalement abandonnées.
Ces informations ont été confirmées lors d’une visite officielle conduite le 11 juillet 2025 par le ministre des Finances, Nestor Ntahontuye, et son homologue en charge de l’Agriculture, Prosper Dodiko. Le compte-rendu de cette mission fait état d’ouvrages inexistants ou en ruine, et d’équipements jamais mis en service. Le ministre des Finances a reconnu que les fonds avaient été consommés, mais sans que les résultats escomptés ne soient atteints. « Le projet rencontre de nombreux problèmes. Il y a des infrastructures inutilisées alors que les fonds sont déjà consommés », a-t-il déclaré.
Les données recueillies confirment également que, malgré des investissements massifs, les résultats concrets sur le terrain sont très faibles. L’aménagement du marais de Nyavyamo, censé améliorer la productivité agricole, a échoué. Plusieurs hangars de stockage construits avec les fonds du projet sont restés vides ou inachevés, témoignant d’un décalage important entre les promesses et la réalité.
Par ailleurs, des allégations de détournements de fonds circulent, relayées notamment par des organisations de la société civile comme l’Olucome. À ce jour, aucun rapport d’audit officiel n’a confirmé de manière documentée des cas précis de malversation. Toutefois, plusieurs signaux d’alerte, dont les déclarations de ministres et d’ONG, laissent entendre qu’une mauvaise gestion systémique a affecté ces projets. Une enquête indépendante serait nécessaire pour confirmer ou infirmer ces soupçons.
Un autre élément mis en lumière est la politisation de la gestion des projets. Des personnalités comme Olivier Nkurunziza, président du parti Uprona, et l’économiste Francis Rohero, dénoncent la mise à l’écart de compétences techniques au profit de nominations fondées sur la loyauté politique. Le président du Sénat Emmanuel Sinzohagera et le Premier ministre ont eux aussi pointé des pratiques consistant à prolonger volontairement certains projets pour servir des intérêts individuels.
Ce dysfonctionnement est aggravé par l’absence de mécanismes efficaces de redevabilité. Le manque de suivi rigoureux permet à ces projets de s’enliser, sans que les responsables aient à en répondre. Plusieurs membres du gouvernement ont reconnu publiquement ce déficit, et appelé à des audits généraux. Néanmoins, aucune mesure concrète n’a été annoncée à ce jour.
En conclusion, les vérifications menées confirment que les projets PATAREB et PADCAE-B ont conduit à la mise en place d’infrastructures inachevées ou abandonnées, à une consommation inefficace des ressources financières, et à une gestion influencée par des logiques politiques. Les accusations de détournement de fonds, bien que non prouvées, s’appuient sur des éléments suffisamment graves pour justifier des investigations indépendantes.
Au-delà de ces deux projets, cette affaire révèle une crise structurelle de gouvernance dans la gestion des projets de développement au Burundi. Elle illustre la nécessité urgente de réformes profondes basées sur la compétence, la transparence et la reddition de comptes.
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Photo : Un des projets d’infrastructures laissés à l’abandon, inachevé. © DR