Le journal gouvernemental Le Renouveau du Burundi et le média en ligne Ikiriho, tous deux proches du pouvoir, accusent RFI d’avoir relayé des « contre-vérités » sur la campagne électorale burundaise. L’article de la radio française évoque violences, inégalités d’accès aux ressources et absence de compétition réelle. Ces accusations de désinformation sont-elles fondées ? Burundi Facts a vérifié.
Dans un article publié le 3 juin 2025, intitulé « Burundi : fin de campagne à sens unique avant les législatives du 5 juin », la Radio France Internationale (RFI) dresse un tableau peu reluisant de la campagne électorale. Elle y dénonce notamment les intimidations, agressions et moyens disproportionnés du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Ce contenu a immédiatement suscité une vive réaction de la part de Le Renouveau du Burundi et Ikiriho, qui y voient une tentative de manipulation de l’opinion.
Ce que dit RFI
L’article incriminé évoque des pressions sur les militants de l’opposition, des agressions physiques et un déséquilibre manifeste dans les moyens de campagne. RFI cite Patrick Nkurunziza, président de la coalition Burundi Bwa Bose, pour qui « la campagne a été très difficile », ainsi qu’un politologue local qui estime que la population, préoccupée par la vie chère, est restée globalement indifférente à la campagne.
La radio parle d’un CNDD-FDD aux « moyens quasi illimités » et d’une campagne électorale qui a « éclipsé tous ses concurrents ». Elle mentionne aussi l’« Opération One Million » lancée par le président Evariste Ndayishimiye, jugée irréaliste par un économiste cité dans l’article, rappelant que 76 % de la population burundaise vit sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale.
Ce que répondent Le Renouveau et Ikiriho
Dans un éditorial du 3 juin, Le Renouveau du Burundi affirme que « la campagne électorale s’est déroulée dans un climat serein », accusant RFI de tomber dans le piège d’« avides du pouvoir » cherchant à manipuler l’opinion en misant sur la crise économique. Pour ce journal, les accusations de campagne à sens unique sont « une machination montée de toutes pièces », affirmant que « plus de vingt partis politiques et des indépendants » ont participé aux élections, preuve selon lui de la vitalité démocratique du pays.
🔗 Lire l’éditorial du Renouveau
De son côté, Ikiriho accuse RFI d’« accorder une attention démesurée à une opposition marginalisée » et de « refuser de voir la réalité » par « parti pris ». Le média reconnaît cependant que le CNDD-FDD mène une campagne massive et bien structurée. Il défend aussi l’Opération One Million comme un projet « ambitieux, mais porteur d’espoir » pour un peuple en quête d’opportunités.
Vérification des faits
1. Violences et intimidation : un fait reconnu par les autorités
Contrairement aux dénégations de Le Renouveau et Ikiriho, les violences signalées par RFI ne sont pas inventées. Lors d’une conférence de presse le 3 juin 2025, le ministre de l’Intérieur, Martin Niteretse, a lui-même reconnu que des militants du parti au pouvoir ont été impliqués dans des actes de violence à l’encontre de candidats de l’opposition : menaces, agressions physiques, destructions de cartes d’électeurs et blocages de meetings ont été signalés à travers le pays.
2. Inégalités d’accès au carburant : des preuves concrètes
RFI évoque également des problèmes d’approvisionnement en carburant pour les partis d’opposition. Ce point est confirmé par plusieurs formations politiques. Le parti CNL, par exemple, affirme n’avoir reçu du carburant que cinq jours avant la fin de la campagne, malgré une commande anticipée auprès de la Sopebu. Ce retard a affecté leur capacité à faire campagne dans tout le pays.
3. Une campagne « hors norme » pour le CNDD-FDD
Il est indéniable que le parti CNDD-FDD a mené une campagne massive et très visible. Le président de la République a participé à de nombreux meetings à travers le pays, rassemblant d’importantes foules. La clôture de campagne à Bujumbura a été relayée avec fierté par le compte officiel du parti et celui de la présidence.
Cependant, plusieurs médias et organisations ont documenté un usage systématique des moyens de l’État par le parti au pouvoir, ce qui constitue une violation de la législation électorale.
4. L’Opération One Million : une promesse controversée
Annoncée le 15 mai par le président Ndayishimiye, l’Opération One Million a été largement perçue comme une promesse électoraliste. De nombreux observateurs, dont l’économiste André Nikwigize, doutent de sa faisabilité dans le contexte économique actuel. Il souligne que les responsables actuels, à l’origine de la dégradation de l’économie, peinent à inspirer confiance.
Un éditorial aux accents militants
Il est par ailleurs intéressant de constater que certains extraits de l’éditorial du Renouveau semblent directement empruntés au compte X de Rénovat Sindayihebura, ancien administrateur de Mukaza, aujourd’hui en charge du web et des réseaux sociaux du CNDD-FDD.
Conclusion
Contrairement aux accusations de Le Renouveau et Ikiriho, l’article de RFI ne relève pas de la désinformation. Plusieurs faits évoqués — violences politiques, usage des moyens de l’État, inégalités de traitement entre partis — sont confirmés par des sources officielles, y compris par le ministre de l’Intérieur lui-même. Si le CNDD-FDD reste incontestablement dominant sur la scène politique, cette prédominance s’accompagne de pratiques qui posent question quant à l’équité du processus électoral.
Les critiques adressées à RFI semblent davantage motivées par une volonté de contrôler le récit que par un réel souci de vérité.
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Photo : Des membres du parti au pouvoir Cndd-FDD rassemblés lors de la campagne pour les législatives, les sénatoriales et les communales à Bujumbura, le 31 mai 2025. © AFP/RFI