Au lendemain des élections du 5 juin 2025, entachées d’allégations de fraude, les institutions élues pour la législature 2025-2030 sont désormais en place. Un gouvernement de 13 ministres, dirigé par le Premier ministre Nestor Ntahontuye, a été formé. Mais dans les rangs des réfugiés burundais, la méfiance domine. Pour beaucoup, il ne s’agit que d’une continuité politique qui n’augure rien de positif pour l’avenir du pays.
Les réfugiés interrogés sont unanimes : les nouvelles institutions sont le fruit d’élections organisées dans un climat d’exclusion, sans véritable compétition. Le CNDD-FDD, parti au pouvoir, s’est présenté quasiment seul.
Daniel Ngendakumana, sage-femme et porte-parole du Mouvement international de la jeunesse burundaise (MIJB), parle d’« une mascarade électorale, dans un climat de terreur et de verrouillage politique ».
Même constat pour Emery Ndayikeza, réfugié depuis 2016, qui souligne que « l’Assemblée nationale, le Sénat et les administrateurs communaux viennent tous d’un seul parti », un monopartisme qui, selon lui, mine la démocratie et installe un système autoritaire.
Jacqueline Nduwayezu, enseignante réfugiée au camp de Mahama (Rwanda), y voit « un réel danger pour la démocratie et pour les Burundais ». Elle rappelle que « être élu à 100 % ne signifie pas que tout le monde adhère à son projet de société », et déplore un climat de peur généralisé.
Les mêmes visages aux commandes
Le retour de personnalités jugées incompétentes ou inefficaces inquiète également.
Nolasque Nduwimana, réfugié en Ouganda après huit ans passés en Tanzanie, note la reconduction de figures controversées : « C’est le même Ndabirabe, connu pour ses polémiques, qui revient. Durant ses années à la primature, l’actuel président du Sénat est resté silencieux sur de nombreux sujets. Même devant l’Assemblée nationale, il se déchargeait de questions qui relevaient pourtant de sa responsabilité. »
La nomination de Chantal Nijimbere au ministère de la Défense suscite aussi des critiques, notamment chez les femmes réfugiées. Rosalie Nahimana, ingénieure agronome à Kigali, estime que « le critère de compétence a été occulté ».
Jacqueline Habonimana, psychologue clinicienne à Kigali, va plus loin : « Nommer une femme sans expérience militaire dans un ministère où elle ne sera que figurante relève du mépris envers les femmes. »
D’autres réfugiés y voient cependant des signes d’ouverture : un Mutwa nommé à la Justice, l’entrée de jeunes technocrates aux Finances ou à l’Énergie et Mines, ou encore la nomination de Lydia Nsekela au ministère de la Jeunesse, Sport et Culture. Mais Rosalie Nahimana nuance : « Peu importe la saveur de la nourriture, tant qu’on la mange dans une assiette sale, on ne la sentira pas. »
Le retour des généraux
Le poids de l’armée reste marqué dans les nouvelles institutions. Le Sénat est dirigé par Gervais Ndirakubuca, assisté de Générose Ngendanganya. Le lieutenant-général de police Gabriel Nizigama prend la tête de la Fonction publique, tandis que le général-major de police Léonidas Ndaruzaniye, mis à la retraite anticipée fin 2024, dirige désormais l’Intérieur.
« Ils sont peu ouverts à la diversité politique, ce qui fait craindre une dictature », s’inquiète Emery Ndayikeza. Plusieurs critiques estiment que des généraux influents continuent d’agir en coulisses.
Des figures accusées de violations des droits humains
Certains élus ou nommés sont accusés d’intolérance politique, de participation présumée à des enlèvements, emprisonnements arbitraires, actes de torture ou disparitions forcées.
« Vous voyez à l’Assemblée nationale le même Shabani, cité dans des atrocités au nord-est du pays en 2015, aujourd’hui promu député. Shabani va représenter qui ? », s’indigne Nolasque Nduwimana.
Rosalie Nahimana ajoute : « Ceux qui ont commis des crimes vont-ils changer simplement parce qu’ils entrent au Parlement ? »
Pour ces réfugiés, promouvoir de telles figures au lieu de les sanctionner revient à leur donner plus de latitude pour poursuivre les abus.
Une économie en crise et peu de technocrates
Les nouvelles institutions prennent leurs fonctions dans un contexte de crise économique aiguë : pauvreté, corruption endémique, pénuries chroniques, coupures d’eau et d’électricité. Mais les réfugiés doutent de la capacité du gouvernement à relever ces défis.
« Si on regarde la composition, il n’y a pas de technocrates capables d’apporter des solutions », regrette Emery Ndayikeza.
De plus, les relations avec les partenaires internationaux pourraient rester tendues, notamment en raison du passé de certains responsables.
Conclusion : un avenir sans illusions
Pour la majorité des réfugiés interrogés, ces institutions ne portent aucun signe de changement réel. Jacqueline Habonimana considère qu’« elles ont été mises en place pour perpétuer les intérêts du parti ».
Daniel Ngendakumana, plus amer encore, tranche : « Je suis de ceux qui ont survécu. Et face à ces institutions creuses, érigées par un pouvoir sans morale, je refuse l’illusion. »
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Photo : Photo officielle regroupant les 13 membres du nouveau gouvernement burundais, fraîchement investis pour la législature 2025-2030, aux côtés du Premier ministre Nestor Ntahontuye. © Présidence du Burundi