Le président Évariste Ndayishimiye soutient régulièrement que chaque Burundais pourrait améliorer ses conditions de vie grâce à l’agriculture. Mais cette vision volontariste résiste difficilement à l’analyse des réalités économiques, foncières et sociales du pays.
Au Burundi, l’agriculture est souvent présentée comme la voie royale vers le développement et l’éradication de la pauvreté. Cette idée, portée par les autorités, trouve un relais régulier dans les discours publics, notamment ceux du président de la République, Évariste Ndayishimiye.
Lors d’une activité de récolte de pommes de terre à Muramvya, le 7 juillet 2025, le chef de l’État a réitéré son appel aux Burundais, et en particulier aux fonctionnaires, à pratiquer l’agriculture. « Celui qui ne cultive pas au Burundi n’aura jamais une vie meilleure. Il continuera à mener une vie faite de misère, de dépendance et de plaintes. Mais celui qui retrousse ses manches et cultive peut espérer un avenir digne », a-t-il affirmé.
Mais cette déclaration, aussi mobilisatrice soit-elle, mérite d’être confrontée aux contraintes structurelles qui pèsent sur la majorité des citoyens burundais. L’agriculture est-elle réellement une option accessible à tous dans les conditions actuelles ?
Un territoire exigu et une pression foncière croissante
Premier constat : le Burundi est l’un des pays les plus densément peuplés d’Afrique, avec une superficie d’environ 27 000 km² pour une population estimée à plus de 14 millions d’habitants, soit une densité avoisinant les 560 habitants au km².
Cette forte pression démographique se traduit par un morcellement extrême des terres cultivables. Dans de nombreuses familles, la superficie moyenne des parcelles agricoles est aujourd’hui inférieure à 0,5 hectare. Et dans les provinces les plus peuplées, comme Ngozi, Kayanza, Gitega ou Kirundo, les jeunes générations héritent souvent de terrains insuffisants, voire pas du tout.
Dans ce contexte, pratiquer l’agriculture n’est pas impossible, mais elle devient économiquement non viable pour de nombreux ménages.
Des inégalités criantes dans l’accès aux intrants agricoles
Au-delà de la question foncière, la pratique de l’agriculture nécessite des intrants — engrais, semences de qualité, outils, accès à l’eau — que peu de petits exploitants peuvent se permettre. Le fumier, par exemple, souvent présenté comme solution de substitution aux engrais chimiques, est loin d’être disponible en quantité suffisante, notamment dans les zones où l’élevage est peu développé.
Par ailleurs, les rendements agricoles varient fortement selon la qualité des sols et les conditions climatiques. Là où le président cultive — dans une zone humide favorable et avec des moyens logistiques adaptés — les résultats sont difficilement comparables avec ceux des agriculteurs installés sur des collines érodées ou arides.
À cela s’ajoute le manque chronique de formation technique, de crédits adaptés et de marchés de débouchés pour les produits agricoles.
Un accès à la terre miné par les inégalités et les abus de pouvoir
Autre obstacle majeur : les conflits d’usage de la terre et les accusations d’appropriation illégale. Dans plusieurs provinces proches de la réserve naturelle de la Kibira, des habitants ont dénoncé l’occupation illégale de terres par certaines autorités administratives ou sécuritaires, en violation des lois environnementales qui interdisent toute activité agricole dans cette zone protégée.
Des témoignages recueillis sur place évoquent un accaparement progressif des terres par des personnalités influentes, au détriment des communautés locales. Une situation qui contredit frontalement l’idée d’un accès équitable à la terre pour tous.
Le cas controversé de la pomme de terre
Ironiquement, la pomme de terre, culture mise en avant par le président, illustre certaines dérives du système actuel. Ces dernières années, des hauts cadres de l’administration se sont lancés dans la multiplication des semences de pommes de terre — un domaine jusqu’ici réservé aux agronomes professionnels et structures spécialisées.
Cette prise de contrôle d’un maillon stratégique de la filière par des non-spécialistes a provoqué de vives tensions au sein du secteur. Des producteurs expérimentés se retrouvent marginalisés, faute d’accès aux semences ou aux circuits de distribution dominés par les nouveaux entrants liés au pouvoir.
Verdict : Une affirmation exagérée, déconnectée des réalités du terrain
L’idée selon laquelle tout Burundais pourrait sortir de la pauvreté grâce à l’agriculture repose sur une vision idéalisée, qui ne tient pas compte des contraintes multiples qui pèsent sur les ménages ruraux.
Théoriquement, l’agriculture reste un pilier de l’économie burundaise et peut effectivement contribuer à améliorer les revenus des ménages.
Mais en pratique, seuls ceux qui disposent :
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de terres suffisantes et bien situées,
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d’un accès régulier aux intrants et aux formations agricoles,
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d’un soutien logistique ou institutionnel,
peuvent réellement espérer des gains significatifs. Ce n’est pas le cas de la majorité des citoyens.
En résumé, la déclaration du président Ndayishimiye semble davantage relever d’une rhétorique politique que d’une analyse réaliste des capacités productives du pays. Encourager l’agriculture est une chose. Présenter cette voie comme un remède universel à la pauvreté en est une autre — et cela mérite d’être nuancé, preuves à l’appui.
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Photo : Le président de la République visitant le champ de pommes de terre de Gervais Ndihokubwayo, originaire de la colline Kiyange, en 2023 © Le Renouveau