La nomination de Chantal Nijimbere au poste de ministre de la Défense nationale, dans le récent gouvernement de Nestor Ntahontuye, a suscité de vives réactions au Burundi et au-delà. Ancienne ministre du Commerce, un ministère supprimé lors de ce remaniement, elle devient la première femme à occuper ce portefeuille dans l’histoire du pays. Mais cette avancée symbolique s’accompagne-t-elle d’un réel pouvoir de décision au sein de l’appareil militaire burundais ? Les observateurs restent sceptiques.
Depuis 2015, le ministre de la Défense n’exerce pas de commandement opérationnel sur l’armée. Gratien Rukindikiza, ancien officier, est catégorique : « Le ministre de la Défense ne commande pas l’armée. Il gère l’administratif, mais l’armée est dirigée par le chef d’état-major. »
Historiquement, que ce soit sous Micombero, Bagaza, Buyoya ou les régimes plus récents, le véritable pouvoir militaire a toujours reposé entre les mains du président ou de l’état-major général. Le ministère ne décide ni des stratégies, ni des affectations, ni des opérations extérieures.
Le général Prime Niyongabo, l’homme fort de l’armée
En poste depuis 2015, le général Prime Niyongabo concentre l’essentiel du pouvoir militaire. Plusieurs sources internes affirment qu’il intervient dans toutes les décisions sécuritaires majeures, y compris les opérations controversées en République démocratique du Congo (RDC).
Pour Rukindikiza : « Le ministre exécute, le général décide. »
Une nomination féminine au goût amer
Si la désignation d’une femme à la Défense est perçue comme progressiste, des voix féminines dénoncent une nomination de façade.
Marie-Louise Baricako, du mouvement Inamahoro, estime : « C’est une bonne chose de nommer des femmes, mais il faut les placer là où elles peuvent être utiles. Chantal Nijimbere n’a pas les capacités techniques pour ce poste. Elle risque de subir des frustrations et d’être épuisée dans une mission où elle est mal à l’aise. »
Des fonctions civiles, un pouvoir militaire nul
Le ministère gère le budget, la logistique, les pensions, les approvisionnements et les relations internationales. Mais la gestion des matériels acquis, par exemple, relève du service G4 de l’état-major. Résultat : une large part des prérogatives théoriques du ministère est vidée de son contenu.
Un équilibre ethnique de façade
Un acteur de la société civile, identifié par les initiales N.V., rappelle que l’Accord d’Arusha impose une parité Hutu/Tutsi dans les institutions de sécurité. Or, depuis 2015, des civils tutsis sont régulièrement nommés à la Défense, face à un chef d’état-major hutu tout-puissant. « Y a-t-il des femmes militaires tutsies compétentes pour ce poste ? Oui. Pourquoi ne pas les nommer ? » interroge N.V.
Pour lui, cette stratégie permet de respecter l’équilibre ethnique sur le papier, tout en conservant un contrôle militaire exclusif au sein du CNDD-FDD.
Les opérations en RDC, hors du champ ministériel
Les déploiements des troupes burundaises dans l’Est de la RDC, aux côtés de l’armée congolaise contre l’AFC/M23, sont décidés par l’état-major, sans concertation avec le ministère.
N.V. déplore : « Ce poste devrait revenir à un militaire compétent, capable de défendre la vie des soldats burundais engagés dans une guerre qui n’est pas la leur. »
Des dossiers sensibles évacués
Le ministère reste muet sur plusieurs sujets délicats : pensions des militaires retraités, activités de la milice Imbonerakure, violations présumées des droits humains dans les opérations extérieures.
Selon N.V. : « Il fallait un ministre civil incapable de toucher à ces dossiers sensibles ou de remettre en cause l’armée du parti au pouvoir. »
Un ministère du Commerce déjà fragilisé
Avant ce remaniement, Chantal Nijimbere dirigeait le ministère du Commerce, supprimé dans le cadre d’une « rationalisation » gouvernementale. Ce portefeuille, selon plusieurs observateurs, avait déjà perdu de sa crédibilité après une série de crises internes.
Conclusion : un geste politique, sans impact structurel
En l’absence de réforme dans la chaîne de commandement et face au pouvoir intact de l’état-major général, la nomination de Chantal Nijimbere apparaît avant tout symbolique. Elle ne modifie ni l’équilibre interne des forces, ni la gouvernance sécuritaire du Burundi. Les critiques sur l’inefficacité, le déséquilibre ethnique, l’instrumentalisation politique du poste et l’absence de redevabilité demeurent.
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Photo : Chantal Nijimbere, dont la nomination récente au poste de ministre de la Défense nationale dans le gouvernement de Nestor Ntahontuye a suscité de vives réactions au Burundi. © DR