Lors de sa dernière conférence de presse, le Secrétaire général du CNDD-FDD, Révérien Ndikuriyo, a reconnu l’existence d’une « liste de voleurs » identifiés au sein du parti. Mais plutôt que d’avoir été sanctionnés, ces cadres auraient été simplement mutés vers des postes « où il n’y a pas de quoi voler ». Une déclaration qui relance le débat sur l’impunité des élites politiques et sur la complaisance du pouvoir vis-à-vis des malversations.
Le 23 août 2025, à Butanyerera (Ngozi), Ndikuriyo s’exprimait devant la presse. Interpellé sur le thème choisi par le parti lors de sa prière mensuelle de juillet — « Convertissons-nous pour ne plus attirer sur nous la malédiction en nous accaparant des richesses du pays » — un journaliste lui demande si des membres du CNDD-FDD avaient effectivement volé et, le cas échéant, s’ils s’étaient repentis.
Sa réponse est directe :
« Bien sûr que oui. Personne n’est parfait, même toi qui poses la question. Même les saints ont une marge de péchés par jour. »
Pour lui, l’essentiel n’est pas tant l’acte que la reconnaissance de ses faiblesses et la volonté de s’amender.
Il enchaîne avec une anecdote révélatrice :
« Quand j’étais Commissaire National chargé de la Vie du Parti, j’avais dressé une liste de tous les voleurs, preuves à l’appui, que j’ai présentée au Président Nkurunziza. Avec cette liste, des réformes ont été opérées discrètement : on regardait la personne et, si elle avait volé dans tel département, on lui donnait une mutation vers un poste où il n’y a pas de quoi voler. »
Une mutation peut-elle remplacer une sanction ?
Cette confession a provoqué un tollé. La mutation, en lieu et place d’une sanction judiciaire, peut-elle être considérée comme une punition ? Déplacer un cadre soupçonné de malversations ne revient-il pas simplement à reporter le problème ailleurs ? Et existe-t-il vraiment des postes « sans possibilité de vol » dans l’appareil d’État ?
Plus inquiétant encore : dans quel cas un voleur avéré peut-il bénéficier d’une amnistie qui lui permet de conserver ses privilèges au lieu de répondre devant la justice ?
Une rhétorique récurrente
Ce n’est pas la première fois que Ndikuriyo adopte un discours controversé sur la corruption. En novembre 2022, lors d’une croisade politique, il s’en était pris à ceux qui dénonçaient les abus par messages WhatsApp — pratique alors encouragée par le président Évariste Ndayishimiye.
« Wewe umutanga raporo nka nde ? » (Qui es-tu pour te permettre de faire des rapports ?), avait-il lancé avec virulence.
À ses yeux, les dénonciateurs n’avaient aucune légitimité et méritaient plutôt d’être placés sur une « liste noire ».
Le président de la République lui-même a tenu un discours ambigu. Dans le cadre d’une séance de « moralisation » des cadres du CNDD-FDD, il avait invité ceux qui avaient commis des malversations économiques à restituer volontairement l’argent public à la Banque centrale. Trois comptes avaient même été ouverts à cet effet, avec la promesse qu’aucune poursuite judiciaire ne serait engagée contre eux.
Une logique d’impunité institutionnalisée
Pour Faustin Ndikumana, de l’ONG Parcem, cette logique est contraire à l’État de droit :
« Le détournement des biens, la concussion, le blanchiment, etc. sont toutes des infractions répertoriées par la loi anticorruption. Une fois l’infraction commise, la loi doit s’appliquer. Les institutions de lutte contre la corruption — Inspection générale de l’État, Cour des comptes, Brigade et Cour anticorruption, Cour suprême — sont là pour la faire respecter. »
Conclusion
Les propos de Ndikuriyo et l’attitude du président traduisent une contradiction profonde : d’un côté, une rhétorique officielle de lutte contre la corruption ; de l’autre, une pratique politique qui protège les fautifs et marginalise les dénonciateurs.
« Muter au lieu de punir » revient à institutionnaliser l’impunité. En banalisant les malversations, le pouvoir burundais envoie un signal clair : la loyauté politique prime sur la responsabilité, et l’État de droit s’efface devant la convenance partisane.
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Photo : Révérien Ndikuriyo, Secrétaire général du CNDD-FDD, lors de la conférence de presse où il a admis l’existence d’une “liste de voleurs” au sein du parti. © DR