Le 21 août 2024, Amnesty International a publié un rapport intitulé « Burundi. Les discours et la réalité. La répression de la société civile se poursuit sous le gouvernement d’Évariste Ndayishimiye. » Selon ce rapport, quatre ans après le début de la présidence d’Evariste Ndayishimiye, la répression de l’espace civique demeure active. Le gouvernement de Gitega rejette ces accusations, les qualifiant d’infondées et obsolètes. Cependant, Burundi Facts démontre que ce rapport est loin d’être dépassé.
Amnesty International rapporte que « des défenseurs des droits humains, des journalistes et des membres de l’opposition politique continuent, quatre ans après le début du mandat du président Evariste Ndayishimiye, de faire l’objet d’actes d’intimidation, de harcèlement, d’arrestations et de détentions arbitraires, ainsi que de poursuites judiciaires iniques. »
Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International, a déclaré : « La vague répressive en cours a anéanti l’espoir que la démarche du gouvernement face à la société civile change de manière significative et qu’un espace de discussion s’ouvre sur les questions pressantes en matière de droits humains dans le pays. »
L’ONG note également que « deux défenseurs des droits humains et quatre journalistes qui avaient été emprisonnés pour leur travail ont tous été libérés au cours de la première année de sa présidence. » Toutefois, elle rappelle que d’autres sont toujours détenus arbitrairement et condamnés sur la base d’accusations similaires, comme l’avocat Tony Germain Nkina, l’ancien député Fabien Banciryanino, et la journaliste Floriane Irangabiye, libérée de prison le 16 août 2024 après une grâce présidentielle. Amnesty International évoque aussi l’arrestation de 24 personnes accusées d’« homosexualité » et d’« incitation à la débauche » lors d’un atelier sur l’inclusion économique organisé par une organisation travaillant sur le VIH/sida.
Chagutah a également affirmé : « La manière dont ces accusations sont utilisées pour museler l’opposition est un affront flagrant aux droits humains, en particulier aux droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. » Il a ajouté : « Des élections législatives étant prévues en 2025, Amnesty International exhorte le président Ndayishimiye et son gouvernement à prendre des mesures immédiates et efficaces pour mettre fin à la répression visant l’espace civique. Les autorités burundaises doivent mettre fin de toute urgence aux arrestations, détentions et poursuites arbitraires visant des défenseur·e·s des droits humains, et les droits humains de toutes les personnes au Burundi doivent être respectés. »
Gitega rejette catégoriquement ces allégations
Sur son compte X, Rosine Guilene Gatoni, Cheffe du Bureau chargé de l’information, de la Communication et du Porte-Parolat du Président de la République du Burundi, a réagi en ces termes : « Accusations infondées et fallacieuses, le rapport d’Amnesty International est obsolète, agenda caché ou sous-information ? Ignorent-ils l’élection du Burundi au Conseil des Droits de l’Homme ? La réforme judiciaire ? La campagne de désengorgement des prisons ? L’ouverture de multiples médias ? etc. »
Dans une interview accordée à BBC News Gahuza le 24 août 2024, Mme Gatoni a également déclaré que les cas mentionnés par Amnesty International datent d’une dizaine d’années. « Amnesty International veut imputer tout cela au régime du président Evariste Ndayishimiye. Cela prouve qu’ils n’ont rien trouvé à critiquer concernant sa présidence. Leur intention est de ternir l’image du Burundi, alors que le pays enregistre des avancées dans le respect des droits de l’homme. »
FAUX : Les faits montrent une autre réalité
La majorité des arrestations rapportées par Amnesty International ont effectivement eu lieu sous la présidence d’Évariste Ndayishimiye, investi le 18 juin 2020.
- Fabien Banciryanino, ancien député à l’Assemblée nationale, a été arrêté le 2 octobre 2020, accusé de rébellion, dénonciation calomnieuse, et atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État. Il a été libéré en octobre 2021 après un an d’emprisonnement.
Fabien Banciryanino, ancien député à l’Assemblée nationale - Tony Germain Nkina, avocat, a été arrêté le 13 octobre 2020 sur la colline Tondero, dans la commune de Kabarore, en province de Kayanza, alors qu’il rendait visite à un client pour le conseiller dans un dossier foncier. Le 15 juin 2021, la Cour d’appel de Ngozi l’a déclaré coupable d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » et l’a condamné à cinq ans d’emprisonnement et à une amende d’un million de BIF.
Tony Germain Nkina, avocat et défenseur des droits de l’Homme - Floriane Irangabiye , journaliste et défenseuse des droits de l’Homme, a été arrêtée le 30 août 2022 par le Service national de renseignement (SNR), alors qu’elle rendait visite à sa famille au Burundi. Elle a été libérée par grâce présidentielle le 16 août 2024.
Floriane Irangabiye, journaliste et défenseuse des droits de l’Homme - Cinq défenseurs des droits humains, Sonia Ndikumasabo et Marie Emerusabe (respectivement présidente et coordonnatrice générale de l’Association des femmes juristes du Burundi), Audace Havyarimana (représentant juridique de l’APDH), Sylvana Inamahoro (directrice de l’APDH), et Prosper Runyange (coordonnateur du projet foncier de l’APDH), ont été arrêtés en février 2023. Quatre d’entre eux ont été arrêtés à l’aéroport alors qu’ils se rendaient en Ouganda pour une réunion, et Prosper Runyange a été arrêté à Ngozi et transféré à Bujumbura.
- Le 22 février 2023, 24 personnes ont été arrêtées à Gitega lors d’un atelier sur l’inclusion économique organisé par une association travaillant sur le VIH/sida. Accusées d’« homosexualité » et d’« incitation à la débauche », 19 d’entre elles ont été relaxées le 21 août 2023, tandis que sept autres ont été condamnées. Mevain Shurweryimana, relaxé mais maintenu en détention en raison d’un refus de signature des documents de libération, est décédé en prison.

Malgré les déclarations de la porte-parole de la présidence, qualifiant les accusations d’infondées et le rapport d’obsolète, les actions de la police continuent de perturber les activités des associations de la société civile. En 2022 et 2023, plusieurs événements ont été perturbés par la police :
- Le 14 mars 2022, une conférence de presse conjointe animée par Parcem et Olucome a été suspendue par la police. Les deux organisations demandaient la suspension provisoire d’une mesure limitant la circulation des deux-roues et tricycles.
- Le 23 mars 2023, un atelier sur le recouvrement des fonds détournés, organisé par l’Olucome, a été interrompu par un groupe de cinq policiers.
- Le 24 mars 2023, lors de la clôture du Forum national des jeunes en province de Gitega, le président Evariste Ndayishimiye a publiquement critiqué Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, l’accusant de critiquer sans contribuer à l’agriculture et à l’élevage.
Des cas d’intimidation continuent
« Le rapport d’Amnesty International ne reflète pas la réalité du terrain », a déclaré Mme Gatoni lors de son intervention sur la BBC. Malgré ces propos « rassurants » de la porte-parole du président, de nombreux observateurs dénoncent une restriction croissante des libertés d’expression et d’association à l’approche des élections de 2025.
Même après la libération de Floriane Irangabiye, une autre journaliste reste en détention. Sandra Muhoza, journaliste pour le média en ligne La Nova Burundi, a été incarcérée à la prison centrale de Mpimba depuis le 18 avril 2024, sous mandat de dépôt. Elle est accusée d’« atteinte à la sécurité de l’État » et d’« aversion ethnique » et risque la prison à vie.

Des violences contre les journalistes ont également été signalées récemment. Pantaléon Ntakarutimana, correspondant du magazine Jimbere, a été arrêté le 13 juillet 2024 et détenu au commissariat communal de police à Bweru, dans la province de Ruyigi. L’administratrice communale, Diane Nibitanga, l’a accusé de « donner des informations biaisées ».

Le 25 juin 2024, les bureaux du Journal Iwacu situés dans le quartier INSS à Rohero, Bujumbura, ont été attaqués par des jets de pierres. Pascal Ntakirutimana, responsable du service politique du Groupe de Presse Iwacu, a échappé à une tentative de kidnapping le 5 juin 2024 par deux policiers à l’avenue des Forces Armées, connue sous le nom de « Kurya Kanyoni », à Cibitoke, Bujumbura. Le 23 mai 2023, Jean Noël Manirakiza, correspondant d’Iwacu, a été agressé et son matériel confisqué par Evariste Habogorimana, commissaire provincial de la police à Gitega.
Le 30 juin 2024, Gérard Nibigira, correspondant de la radio Isanganiro en province Gitega, a été interpellé et malmené par des policiers sur ordre de Jean Prime Ndikubwayo, commissaire communal de la police à Gitega. Il était en train de chercher du carburant pour son véhicule tout en réalisant un reportage sur la pénurie de carburant. Selon la police, il est accusé d’avoir filmé et photographié des policiers en intervention et d’avoir transmis des informations sur les brutalités policières au journaliste Bob Rugurika, connu pour ses révélations polémiques sur le gouvernement burundais.

En mai 2024, Ahmadi Radjabu, directeur technique d’Akeza.Net, a été détenu plusieurs jours dans les cellules du Service national de renseignement (SNR) après avoir pris des images d’un incendie au marché de Ruvumera, à Bujumbura.
Enfin, la Conférence des Évêques catholiques du Burundi (CECAB) a, dans son message du 14 avril 2024, dénoncé un risque de monopartisme, ainsi que des assassinats, kidnappings, et l’impunité liés à une justice corrompue. « Il est des personnes horriblement assassinées ou kidnappées et portées disparues pour des raisons politiques ou autres intérêts macabres, fait frissonner », ont déclaré les Évêques.