La Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) rêvait grand : un marché commun sans frontières, une monnaie unique, une destinée partagée. Vingt-cinq ans plus tard, ce rêve oscille entre vœux pieux et écueils solides. Autant de signes que l’intégration, loin de se renforcer, vacille.
L’ombre de ces fissures plane sur Dar es-Salaam, où, en juillet 2025, la Tanzanie a interdit aux étrangers quinze métiers de proximité — coiffure, commerce de détail, transferts d’argent, réparation de téléphones — sous prétexte de « protéger les petits entrepreneurs locaux ».
Une mesure qui heurte frontalement le Protocole du Marché commun : l’article 2 proclame la libre circulation des personnes, des services, des travailleurs, le droit d’établissement et de résidence ; l’article 7 stipule que tout citoyen d’un État partenaire peut entrer, résider, chercher un emploi et y travailler sans discrimination ; ces exceptions seraient possibles, mais seulement motivées, proportionnées et notifiées aux autres partenaires — ce qui n’est pas le cas ici. Cette décision illustre bien le décalage entre la lettre du traité et l’esprit de l’intégration.
Mais ce cas, s’il est emblématique, n’est qu’un épisode d’une série bien plus inquiétante. L’aléa sécuritaire en RDC, et ses répercussions sur le projet régional, pèsent tout autant — sinon plus.
Est de la RDC : le conflit qui fissure l’union
Depuis 2022, l’ombre du Mouvement du 23 mars (M23), soutenu selon l’ONU par le Rwanda, plane sur l’Est de la RDC. Le M23 a étendu son emprise, notamment à Goma, Walikale ou Bukavu, dans une spirale d’instabilité qui a poussé des milliers de civils à fuir ; ces violences fragilisent la cohésion régionale.
En réponse, l’EAC déploya une force régionale (EACRF), avant d’être remplacée par la SAMIDRC, pilotée par la SADC (Afrique du Sud, Malawi, Tanzanie).
Pour les dirigeants de l’EAC, l’enjeu dépasse aujourd’hui la libre circulation économique : c’est la stabilité régionale qui vacille. L’est de la RDC n’est plus un foyer local, mais une plaie ouverte menaçant l’ensemble de l’Union.
Des tensions qui récoltent des frontières et des exils
Ces conflits exacerbent les divisions nationales. En janvier 2024, la frontière entre le Rwanda et le Burundi reste fermée, symbole d’un repli nationaliste où la sécurité prime sur les échanges humains. Le secrétaire général du CNDD-FDD, parti au pouvoir au Burundi, a récemment fermé toute porte à une réouverture tant que Kigali ne livrerait pas les putschistes de 2015.
Parallèlement, des jeunes Burundais sont refoulés de Tanzanie. Les ONG dénoncent arrestations, mauvais traitements, expulsions traumatisantes : « certains reviennent traumatisés, dépressifs, presque hors d’état de se relever ». Une autre manière, plus sordide, de fermer les portes de l’intégration.
Intégration à deux vitesses : discours vs pratique
Aujourd’hui, l’intégration en EAC souffre d’un paradoxe cruel. Les dirigeants continuent de célébrer la solidarité régionale aux sommets, tandis que, dans les faits, les États membres érige(nt) des barrières, légitiment des exceptions, et ferment des portes. Le rapport de l’East African Business Council (2023) est sans complaisance : « Tant que les États privilégieront des calculs sécuritaires de court terme au détriment de l’intégration, l’EAC restera une coquille juridique sans incarnation concrète. »
Le commerce intra-régional plafonne aux alentours de 15 % du total des échanges — une misère comparée au potentiel d’un marché intégré, et un échec tangible des engagements formels.
Conclusion
Entre discours glorieux et réalités contradictoires, l’EAC vacille. L’est de la RDC, avec son conflit meurtrier et ses déplacements massifs, en est le symptôme et l’accélérateur. Les expulsions de Burundais en Tanzanie et les fermetures de métiers montrent que l’intégration est réduite à un slogan, vidé de sa substance. L’Union est à un carrefour : poursuivre cette marche en arrière, ou s’armer de volonté politique réelle pour que, enfin, l’union devienne plus forte que les esprits souverainistes nationaux.
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Photo : Les drapeaux des pays membres de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), symbole d’un idéal d’intégration régionale encore fragilisé par les tensions politiques, économiques et sécuritaires. © DR