Le 14 août 2025, une synergie des médias devait mettre en lumière les conséquences de la pénurie de carburant au Burundi. Le CNC a choisi de l’interdire, jugeant le sujet « non pertinent ». En réalité, cette décision s’apparente à un acte de censure visant à étouffer un problème qui paralyse le pays depuis plus de trois ans.
Une synergie des médias devait se tenir le 14 août 2025 au Burundi, avec pour thème les conséquences de la pénurie de carburant sur le transport des personnes et des marchandises. Mais l’événement n’a pas eu lieu : le Conseil National de la Communication (CNC) a jugé le sujet « non pertinent », estimant qu’aucun élément nouveau ne justifiait de revenir dessus.
Cette décision suscite de vives interrogations, tant les arguments avancés paraissent peu convaincants. Pour nombre de professionnels des médias, il s’agit moins d’un choix technique que d’une volonté manifeste d’occulter une réalité gênante.
La pénurie de carburant, un sujet « non pertinent » ?
Dans une lettre adressée au directeur de la Radio Isanganiro, qui devait accueillir la synergie, la présidente du CNC, Espérance Ndayizeye, a estimé que la thématique avait déjà été suffisamment traitée. Elle a qualifié la rencontre de « remplissage inutile » et recommandé aux médias de se tourner vers un sujet présentant, selon elle, « un intérêt évident ».
Mais difficile de suivre cet argument, dans un pays frappé depuis plus de trois ans par une pénurie chronique de carburant, dont les conséquences continuent d’affecter la vie quotidienne des Burundais. « Même si les médias ont longuement couvert la question, il y a toujours à dire tant que le problème n’est pas résolu », rappellent plusieurs observateurs.
Le journaliste Franck Kaze s’étonne : « Est-ce que Ndayizeye ignore le principe de suivi d’une information ? Dans un suivi, il y a toujours des nouveautés », souligne-t-il.
De son côté, Jean-Marie Ntahimpera, enseignant en journalisme à l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (Bamako, Mali), insiste sur l’importance du sujet : « Tout le monde sait que la question du carburant est cruciale. C’est une question de survie pour la population, et les médias doivent en parler. »
Les analystes estiment d’ailleurs que réduire une crise à un « non-sujet » ne fait que l’aggraver. La synergie avortée aurait permis de mettre en lumière les difficultés quotidiennes des Burundais face à une pénurie qui paralyse de nombreux secteurs.
« Tout est à l’arrêt au Burundi, et on interdit aux médias d’en parler ? C’est incroyable ! » s’indigne encore Franck Kaze.
Une censure de trop ?
Pour beaucoup, le CNC, censé accompagner le développement des médias, se transforme peu à peu en instrument de contrôle politique. La décision s’inscrit dans la lignée d’autres tentatives du gouvernement d’imposer un silence sur des sujets sensibles.
« C’est un acte de censure. La loi sur la presse autorise les médias à traiter tout sujet, tant qu’ils respectent leur cahier des charges », rappelle Jean-Marie Ntahimpera.
Selon lui, cette interdiction traduit surtout la crainte du pouvoir de voir son incapacité exposée au grand jour, notamment face à une crise qui handicape lourdement l’économie nationale.
« C’est une fuite en avant d’un pouvoir dictatorial, qui veut imposer le silence sur des questions essentielles au bien-être de la population », tranche-t-il.
L’argument juridique ne tient pas non plus. L’article 60 de la loi sur la presse du 12 juillet 2024 stipule que : « Les organes de presse jouissent de la liberté d’expression ; ils décident de leur programme et assument la responsabilité des émissions qu’ils diffusent. »
Quant à l’article 52, il consacre explicitement le droit des journalistes à enquêter et à commenter librement les faits de la vie publique. Or, c’est précisément ce que la synergie projetait de faire.
Un précédent dangereux pour les médias
Cette décision du CNC risque de créer un précédent lourd de conséquences. Déjà affaiblie par la crise politique de 2015, la liberté de la presse burundaise vit sous le spectre de l’autocensure. Plusieurs rédactions, craignant d’être accusées de collusion avec l’opposition, hésitent à traiter certains sujets sensibles.
Si la crise du carburant devient officiellement un « sujet non pertinent », elle pourrait bientôt se transformer en véritable tabou.
Conclusion
La décision du CNC de bloquer la synergie sur la pénurie de carburant relève davantage d’une motivation politique que professionnelle. Elle reflète une volonté de masquer des réalités embarrassantes plutôt que de protéger l’intérêt du public.
Mais cette orientation fragilise encore plus la presse burundaise. Car face au risque de sanctions, beaucoup de journalistes pourraient désormais éviter un sujet pourtant central dans la vie des citoyens.
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Photo : Bujumbura, veille des législatives du 5 juin 2025 : des journalistes se rassemblent à la Maison de la Presse. © SOS Médias Burundi