Désormais, aucune entreprise à participation publique n’aura le droit de conserver des réserves libres sur ses propres comptes bancaires. Tous leurs fonds seront centralisés sur un Compte unique du Trésor (CUT), logé à la Banque centrale. Si cette réforme, largement reconnue sur le plan international, est censée renforcer la discipline budgétaire et améliorer l’efficacité de la gestion publique, plusieurs économistes s’interrogent sur son application au Burundi. Dans un contexte marqué par une gouvernance financière fragile, ils redoutent des conséquences négatives sur la viabilité des entreprises publiques.
Le 23 septembre 2025, lors d’une rencontre avec les responsables d’entreprises à participation publique, le Premier ministre Nestor Ntahontuye a exprimé son mécontentement face à leurs faibles performances.
Selon lui, il est inacceptable que l’État recoure à l’endettement extérieur alors que des montants importants dorment sur des comptes inactifs.
« Nous avons clôturé l’année avec un déficit budgétaire au niveau de la trésorerie de l’État. Parallèlement, il y avait 400 milliards sur les comptes des entreprises publiques. Tous les fonds seront désormais transférés sur le Compte unique du Trésor public et, si l’État en a besoin, il les utilisera. Une entreprise qui en aura besoin en fera la demande selon ses besoins réels », a-t-il déclaré.
Une opportunité pour l’État…
Plusieurs experts reconnaissent que l’État est en droit d’engager des réformes touchant à ses entreprises lorsqu’il s’agit d’intérêt général. Dans des pays à gouvernance rigoureuse, la centralisation des fonds peut même présenter des avantages notables.
L’économiste Willy Rwimo estime que la mesure pourrait réduire le coût de l’endettement, en utilisant d’abord les excédents internes avant de recourir à des emprunts extérieurs. Elle permettrait également d’optimiser la trésorerie publique en limitant les fonds oisifs et en renforçant la discipline budgétaire.
Son analyse est partagée par Valentin Mbanzendore, économiste humanitaire, pour qui la centralisation pourrait favoriser une meilleure allocation des ressources :
« Les fonds non utilisés dans une entreprise peuvent être réaffectés à une autre qui en a besoin », explique-t-il.
De plus, la centralisation renforcerait le contrôle gouvernemental sur les finances publiques et réduirait les risques de mauvaise gestion ou de détournement dans les entreprises publiques.
…Mais des risques importants pour les entreprises
Dans le contexte burundais, miné par la corruption et la mauvaise gouvernance, tous les experts interrogés s’accordent à dire que la réforme comporte des risques majeurs sans mécanismes de flexibilité adaptés.
L’accès aux liquidités dépendra désormais d’un processus centralisé, ce qui pourrait affecter la capacité des entreprises à fonctionner efficacement.
Selon Rwimo, cette réforme risque de provoquer des ruptures de trésorerie opérationnelle, entraînant des retards de paiement des salaires, des fournisseurs ou des dépenses urgentes.
Mbanzendore ajoute que cette dépendance à des décisions prises au niveau central pourrait empêcher les entreprises de planifier à long terme, compromettant ainsi leur développement et leur efficacité.
Pour Rwimo, cette rigidité accrue pourrait se traduire par une baisse de la performance commerciale, affectant leur compétitivité et leurs relations avec leurs partenaires.
Jacqueline Nisubire, économiste, va plus loin :
« Les entreprises ne seront plus compétitives et risquent d’être avalées par la concurrence privée. Elles ne diversifieront plus leur gamme de produits. »
Un risque de détournements accru
Dans d’autres pays, la centralisation des fonds a permis une meilleure efficacité budgétaire. Mais au Burundi, des doutes subsistent quant à sa mise en œuvre dans un environnement marqué par une corruption systémique.
En concentrant les fonds publics sur un seul compte, la réforme accroît le pouvoir des responsables qui gèrent ce CUT, créant de nouvelles opportunités de détournements.
« Si les mécanismes de contrôle ne sont pas efficaces, cela peut mener à des abus de pouvoir et à des détournements de fonds à plus grande échelle », prévient Mbanzendore.
De plus, avec la fusion des comptes, l’identification des responsabilités devient plus complexe, ce qui peut encourager un sentiment d’impunité parmi les gestionnaires.
Des mesures d’accompagnement indispensables
Jacqueline Nisubire avertit que certaines entreprises publiques pourraient aller jusqu’à fermer leurs portes si aucune mesure d’accompagnement n’est prévue.
Pour limiter les effets négatifs, Willy Rwimo propose la création de comptes opérationnels transactionnels :
« Il faudrait autoriser les entreprises à conserver un compte fonctionnel pour leurs paiements courants, avec transfert automatique des soldes excédentaires vers le Trésor en fin de journée, et mettre en place un mécanisme d’avances rapides et prévisibles pour les besoins urgents. »
Il insiste également sur l’importance d’un calendrier clair des flux financiers, afin de garantir la continuité des activités et d’éviter les blocages administratifs.
Conclusion
La mise en place d’un compte unique du Trésor est une réforme budgétaire pertinente sur le papier, adoptée avec succès dans plusieurs pays.
Mais au Burundi, sans mesures d’accompagnement adaptées pour concilier l’efficacité budgétaire de l’État et la continuité opérationnelle des entreprises publiques, cette réforme pourrait créer plus de problèmes qu’elle n’en résout.
____________________________________________
Photo : Le Premier ministre Nestor Ntahontuye s’adressant aux responsables des entreprises à participation publique lors d’une réunion consacrée à la réforme du Compte unique du Trésor, le 23 septembre 2025. © DR