L’expulsion de David Leysens, directeur pays de l’Agence belge de développement (Enabel), après avoir partagé une caricature sur la pénurie de carburant au Burundi, soulève des interrogations majeures. Cette décision, jugée brutale par de nombreux observateurs, met en lumière les limites de la liberté d’expression dans le pays et pourrait fragiliser la coopération bilatérale avec la Belgique, en plus de compromettre des financements déjà engagés.
Le 5 septembre 2025, les autorités burundaises ont ordonné à David Leysens de quitter le territoire d’ici samedi. Motif : un partage sur LinkedIn d’une caricature illustrant un article du journal The Continent consacré à la pénurie de carburant, qui perdure depuis plusieurs années.
Pour Bujumbura, ce geste constitue une atteinte à la souveraineté nationale. Pourtant, la liberté d’expression est formellement garantie par l’article 31 de la Constitution burundaise de 2005, repris dans celle de 2018. En théorie, chaque citoyen – y compris un diplomate – est autorisé à exprimer une opinion ou relayer une information déjà publiée.
Enabel, un partenaire historique et stratégique
L’affaire n’est pas anodine : Enabel est l’un des principaux partenaires du Burundi. Dans le cadre de son programme 2024-2028, l’agence s’est engagée à mobiliser 75 millions d’euros pour soutenir des secteurs stratégiques :
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Santé et infrastructures ;
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Agriculture et systèmes alimentaires durables (15,8 millions d’euros) ;
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Insertion professionnelle (11 millions d’euros) ;
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Gouvernance et participation citoyenne (4,9 millions d’euros) ;
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Fonds d’études et d’expertises (4,5 millions d’euros) ;
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Fonctionnement du bureau multisectoriel local (3,4 millions d’euros).
Près de 40 millions d’euros ont déjà été affectés à des projets en cours, dont certains directement liés à l’amélioration des conditions de vie des populations rurales.
Les risques pour le Burundi
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Perte de financements et d’expertise : L’expulsion survient alors que plusieurs millions d’euros sont déjà engagés. Des infrastructures de santé, des programmes d’insertion et des initiatives agricoles pourraient être ralentis, voire suspendus.
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Impact sur la coopération internationale : Quelques semaines seulement après la visite du vice-premier ministre belge Maxime Prévot, destinée à relancer le partenariat bilatéral, cette mesure risque de refroidir d’autres bailleurs. Elle envoie un signal d’instabilité qui remet en cause la sécurité juridique et politique du pays.
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Atteinte à la réputation du Burundi : Alors que la Constitution garantit la liberté d’expression, la décision apparaît en contradiction avec les engagements internationaux du pays. Elle risque de ternir l’image du Burundi en tant que partenaire fiable.
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Conséquences concrètes pour les citoyens : Les projets de rénovation de centres de santé ruraux, de renforcement des capacités administratives ou d’amélioration de la sécurité alimentaire pourraient subir des retards importants, impactant directement les populations bénéficiaires.
Une décision jugée brutale
Pour Frédéric Bamvuginyumvira, ancien vice-président du Burundi, cette décision dépasse la seule dimension diplomatique :
« Cette mesure pourrait interrompre des financements vitaux et freiner la mise en œuvre de projets stratégiques. Elle illustre aussi les limites de la liberté d’expression et leur effet sur la coopération internationale », affirme-t-il.
Il appelle les autorités à mesurer les conséquences de telles décisions sur la stabilité et le développement du pays.
Conclusion
L’expulsion de David Leysens illustre un paradoxe : alors que le Burundi dépend de l’appui international pour atteindre ses objectifs de développement, une décision perçue comme punitive risque de compromettre des projets essentiels et d’affaiblir la coopération bilatérale avec la Belgique. Au final, ce sont les Burundais eux-mêmes qui pourraient payer le prix le plus lourd, à travers le ralentissement de programmes cruciaux pour leur avenir.
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Photo : David Leyssens, directeur pays d’Enabel au Burundi, qui a été expulsé pour avoir relayé une caricature dénonçant la pénurie de carburant qui sévit depuis près de cinq ans. © DR