Alors que la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) du Burundi s’est vue confier les dossiers fonciers de la défunte CNTB, les critiques s’accumulent. Manque de transparence, partialité présumée et bilan contesté après plus de dix ans de mandat mettent en doute sa capacité à garantir justice et réconciliation.
Lors du lancement d’une nouvelle phase des activités de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), son président, Pierre-Claver Ndayicariye, s’est voulu rassurant :
« Voici le grand rendez-vous pour ceux qui ont soif de vérité et de justice, pour ceux victimes de spoliation. »
Pourtant, derrière ce ton solennel, les promesses de vérité et de justice peinent à se matérialiser. La CVR, désormais investie du traitement des litiges fonciers autrefois confiés à la Commission nationale des terres et autres biens (CNTB), traîne un passif lourd : un bilan contesté, un déficit de transparence et des soupçons persistants de partialité. Dans ce contexte, de nombreux observateurs doutent de sa capacité à répondre aux attentes des justiciables.
Une nouvelle mission qui suscite la controverse
C’est à Butanyerera, dans l’ancienne province de Ngozi, au nord du pays, que Ndayicariye a annoncé l’élargissement du mandat de la CVR. En vertu de la loi du 28 mai 2024, la Commission prend désormais en charge les dossiers fonciers et de biens spoliés jusque-là gérés par la CNTB.
Cette décision n’a pas manqué de provoquer de vives critiques. Pour plusieurs acteurs de la société civile, il s’agit d’un cumul de responsabilités confiées à une institution dont le bilan, après plus de dix ans d’existence, reste jugé largement insuffisant.
Des critiques frontales : impartialité et légalité en question
Terence Mushano, vice-président de l’AC Génocide-Cirimoso, dénonce ce qu’il considère comme une dérive dangereuse :
« Que cherchent-ils ? Clôturer le dossier de la CVR avant même d’avoir éclairci les travaux de la CNTB ? »
Il met en doute la légitimité de la Commission :
« La CVR présidée par Ndayicariye n’a produit qu’un rapport qualifié d’étape sur les événements de 1972. Et les autres périodes ? Pourquoi ne parle-t-on pas de 1965, de 1988, de 1993 à 2008 ? »
Selon lui, loin de réconcilier, la CVR alimente la spoliation :
« Si les témoins doivent être condamnés pour faux témoignage, les membres de la CVR responsables de verdicts injustes ou de restitutions abusives doivent également répondre devant la justice. »
Il rappelle aussi que l’article 11, qui interdit tout recours juridique contre les décisions de la CVR, ouvre la voie à des injustices durables :
« Si les choses ne sont pas bien faites, elles seront tôt ou tard remises en cause, même après notre mort. »
Un autre acteur, Me Pascal Ntahonkuriye, président de l’Association des rescapés du génocide de Bugendana, s’inquiète de la concentration de pouvoirs judiciaires dans une commission administrative :
« La CVR ne jouit pas de la confiance de tous. Une partie de la population doute de son impartialité. »
Il insiste sur le fait que la Constitution, en son article 210, réserve le pouvoir de rendre justice aux tribunaux :
« Ce n’est pas à une commission administrative de trancher un contentieux foncier aussi lourd. La loi sur la CVR viole le droit d’accès au juge, garanti par l’article 39 de la Constitution. »
Un bilan sélectif et controversé
Depuis sa création, la CVR s’est surtout concentrée sur les événements de 1972, qu’elle a qualifiés de génocide contre les Hutu — une compétence qui, selon plusieurs juristes, ne relève pas d’elle mais du Conseil de sécurité de l’ONU ou d’un tribunal international.
Terence Mushano fustige ce travail partiel de la mémoire :
« Pourquoi la CVR ne publie-t-elle pas le rapport établi sous feu Monseigneur Jean-Louis Nahimana ? Probablement parce que ce mandat avait été mieux conduit. »
À titre de comparaison, sous l’abbé Kana Astère, la CNTB avait réussi à poser des bases jugées solides : consultation des communautés, collecte de témoignages, efforts pédagogiques… Des acquis aujourd’hui fragilisés par la politisation croissante de la CVR, soupçonnée de servir les intérêts du parti au pouvoir, le CNDD-FDD.
De plus en plus de voix accusent en effet la Commission de se transformer en instrument de règlement de comptes politiques, par le biais de spoliations ciblées contre des personnes perçues comme opposantes au régime.
Conclusion : Une mission élargie, mais une légitimité fragilisée
Si l’ambition de réparer les injustices historiques reste légitime, le cumul des missions de la CVR, vérité, réconciliation, gestion foncière, indemnisation , dans un contexte marqué par un bilan mitigé et une perte de confiance, suscite des doutes profonds.
Après plus d’une décennie d’existence, la Commission peine toujours à convaincre, tant par le manque de transparence de ses travaux que par l’absence de résultats équilibrés et inclusifs.
Dès lors, une question s’impose : la CVR peut-elle réellement restaurer la confiance, garantir la justice et mener à une réconciliation authentique ? Pour beaucoup, la réponse demeure incertaine.
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Photo : Pierre-Claver Ndayicariye, président de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) © DR