Lors d’un discours à Cibitoke, le président Évariste Ndayishimiye a accusé l’ONU d’être à l’origine du sous-développement du Burundi, en raison de son rôle dans la colonisation. Mais plusieurs voix politiques et de la société civile contestent cette lecture, estimant que le véritable blocage du pays relève aujourd’hui de la mauvaise gouvernance et du refus du dialogue.
À l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones, célébrée le le 9 août dans l’ancienne province de Cibitoke, le président Évariste Ndayishimiye a accusé l’Organisation des Nations Unies (ONU) d’avoir contribué à la division des Burundais, estimant que ce rôle historique expliquerait en partie le manque de progrès du pays. Selon lui, le mandat confié à la Belgique par l’ONU après la Première Guerre mondiale aurait marqué durablement le destin du Burundi.
Mais cette lecture de l’histoire est largement contestée. Plusieurs voix politiques et de la société civile dénoncent une stratégie visant à détourner l’attention des responsabilités actuelles du régime.
« Il est temps d’aller de l’avant »
Keffa Nibizi, président du parti CODEBU, reconnaît que « les problèmes que traverse notre pays sur les plans politique, économique et social trouvent en partie leurs racines dans un passé douloureux, notamment la colonisation ». Mais, nuance-t-il, « après soixante ans d’indépendance, nous aurions dû franchir un cap important en matière de résilience », à l’image d’autres pays également colonisés qui ont su rebondir.
Il rappelle aussi que l’ONU a soutenu le Burundi à travers la mise en place de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR). Si cette initiative a échoué, c’est parce que « le pays a refusé de coopérer », affirme-t-il. « Nous avons tourné le dos à plusieurs partenaires techniques et financiers qui auraient pu contribuer au redressement du pays, à la bonne gouvernance et à la cohésion nationale. »
Pour Nibizi, les freins sont d’abord internes : « Ce sont bien souvent nos propres insuffisances qui nous bloquent. Les autorités doivent rouvrir les portes à la coopération, pour que le Burundi progresse au même titre que les autres nations. »
« C’est votre responsabilité, Monsieur le Président »
Le journaliste Innocent Muhozi, directeur de la Télévision Renaissance en exil, va plus loin. Pour lui, les propos du chef de l’État relèvent d’un déni de responsabilité.
« Il n’est pas possible que le Président de la République continue de nous expliquer que les problèmes actuels du Burundi sont la faute des Belges, de l’ONU, ou des Allemands », tranche-t-il. Et d’ajouter : « Cela fait plus de 60 ans que nous sommes indépendants. »
Muhozi insiste sur le fait que les violations actuelles des droits humains – morts, tortures, exils, prisonniers – relèvent du pouvoir en place :
« Toutes ces morts sont de votre responsabilité. Toute cette misère est de votre responsabilité. Tous ces dysfonctionnements dans le pays sont de votre responsabilité. »
Il appelle le président à un dialogue national inclusif : « Ce n’est pas en accusant les autres qu’on résoudra les problèmes. Ce n’est pas la responsabilité des Nations Unies, ni celle des Belges. C’est la vôtre, monsieur le Président. »
Le développement passe par la bonne gouvernance
Faustin Ndikumana, acteur de la société civile et défenseur de la transparence, estime lui aussi que s’en prendre à l’histoire coloniale ne répond pas aux défis actuels.
Selon lui, « le sous-développement du Burundi est étroitement lié à la corruption, au manque de transparence et à l’absence de reddition de comptes ». La mauvaise gouvernance constitue, selon lui, un frein bien plus puissant que les héritages du passé.
Il plaide pour que les dirigeants assument leurs responsabilités présentes et instaurent un climat favorable à l’investissement, à la justice sociale et à la croissance économique.
« Une instrumentalisation du passé »
Léonce Ngendakumana, figure de l’opposition, voit dans les déclarations du président une manœuvre politique.
« C’est une manière d’éviter de parler des vrais problèmes : la pauvreté extrême, l’absence de libertés publiques, la fuite des cerveaux, et l’exil massif des citoyens », explique-t-il.
À ses yeux, accuser les anciens colonisateurs est devenu un discours de légitimation du pouvoir, mais qui « ne tient plus la route face à la réalité actuelle ». Il appelle plutôt à engager de véritables réformes politiques et économiques.
Conclusion : un discours trompeur
L’analyse des faits et des témoignages recueillis montre que la responsabilité du sous-développement du Burundi ne peut être imputée exclusivement à l’ONU ni à l’héritage colonial. Certes, l’histoire a façonné les premières divisions, mais plus de six décennies d’indépendance se sont écoulées.
Aujourd’hui, les causes du blocage burundais sont principalement internes : mauvaise gouvernance, refus du dialogue inclusif, exclusion politique et fermeture à la coopération internationale.
Les propos du président Ndayishimiye sont donc trompeurs : ils contiennent une part de vérité historique, mais servent surtout à détourner l’attention des responsabilités actuelles du pouvoir.
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Photo : Le stade de Buganda, à Cibitoke, où le président Ndayishimiye a accusé l’ONU d’avoir divisé les Burundais et freiné le développement du pays. © RTNB