Les résultats écrasants obtenus par le CNDD-FDD lors des élections législatives et communales du 5 juin 2025 ont soulevé des doutes chez de nombreux Burundais quant à la transparence du processus électoral et aux perspectives démocratiques du pays. Le Burundi est-il en train de basculer vers un monopartisme de fait ? Et quelles conséquences cela pourrait-il avoir sur la gouvernance ? Une analyse minutieuse permet de trier les faits des impressions.
Selon les résultats officiels, le CNDD-FDD a remporté une victoire écrasante, reléguant les autres partis à des scores marginaux. Une performance qui a immédiatement suscité des soupçons, tant elle semble déconnectée de la réalité socio-économique du pays.
Des analystes comme Siméon Barumwete, politologue burundais, y voient un signal d’alerte. « Même si le CNDD-FDD était donné gagnant, ce niveau est presque impossible à atteindre dans un système multipartite. Ces résultats sentent une odeur de tricherie », estime-t-il.
Un avis partagé par Reginas Ndayiragije, politologue également, qui lie les résultats électoraux à un contexte socio-économique délétère : « Au Burundi, la vie est devenue trop chère ; les infrastructures sont délabrées comme dans un pays en guerre, et des pénuries de produits essentiels rappellent les heures sombres de la guerre civile des années 1990 ».
Un multipartisme vidé de sa substance
En théorie, le Burundi reste un pays multipartite. Plus d’une trentaine de partis sont légalement reconnus. Cependant, leur rôle reste marginal, tant en termes de représentation que d’influence.
Selon Barumwete, « l’existence d’un parti dominant n’empêche pas les autres formations d’exister, mais leur rôle se limite bien souvent à des interventions ponctuelles dans les médias ».
Pour Ndayiragije, il faut distinguer le cadre juridique de la réalité politique : « En théorie, la liberté de créer un parti politique est garantie. Mais en pratique, le monopartisme de fait s’est installé depuis 2010 ».
Des conditions électorales verrouillées
L’analyse des conditions dans lesquelles se sont déroulées ces élections renforce les soupçons. Plusieurs éléments viennent appuyer l’idée que le terrain était biaisé :
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Élimination ciblée d’opposants : le cas du député Agathon Rwasa, leader du CNL, est emblématique. Des dissensions internes orchestrées par le pouvoir ont été exploitées pour l’exclure du parti, l’empêchant de se présenter.
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Code électoral sur mesure : l’article 128 du code électoral de 2024 rend quasi impossible la candidature indépendante, limitant drastiquement les options pour les personnalités politiques exclues de leur parti.
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CENI partisane : les démembrements de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ont été confiés quasi exclusivement à des membres du CNDD-FDD, sapant la crédibilité de l’institution.
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Encadrement strict des médias : un code de conduite des médias adopté le 9 décembre 2024 a imposé de lourdes restrictions aux journalistes, les empêchant de rapporter les irrégularités observées pendant le scrutin.
Tous ces éléments convergent vers une réalité : le CNDD-FDD a verrouillé l’espace politique en amont, rendant les résultats pratiquement inéluctables.
Une gouvernance menacée par l’hégémonie
Depuis 2010, le CNDD-FDD contrôle sans partage le Parlement et les principales institutions du pays. Cette domination absolue soulève des inquiétudes sur le fonctionnement des institutions démocratiques.
« Le parti pouvait faire passer toutes les lois qu’il voulait, ses militants occupant tous les rouages de l’État », rappelle Ndayiragije. Pour Barumwete, ce monopole politique engendre des effets délétères : « La domination du CNDD-FDD annonce un recul de la gouvernance démocratique et la reproduction des pratiques autoritaires que ce même parti prétendait combattre dans le maquis ».
Barumwete insiste : l’absence de contre-pouvoirs institutionnalise le favoritisme. « Ce manque de transparence permet au pouvoir de placer qui il veut, où il veut, sans consultation ni méritocratie. La bonne gouvernance est en train de s’éroder. »
Des conséquences à l’international aussi
Cette centralisation du pouvoir pourrait aussi affecter les relations extérieures du Burundi. En pleine crise économique, le pays a plus que jamais besoin de soutien international. Or, une gouvernance perçue comme autoritaire et opaque risque de décourager les partenaires bilatéraux et multilatéraux.
Une main tendue présidentielle jugée peu crédible
Dans une tentative d’apaisement, le président Évariste Ndayishimiye a appelé les perdants au dialogue et à l’unité nationale. Mais ce discours n’a guère convaincu.
« C’est vrai que le président a tenté de calmer, mais le fruit était déjà pourri », ironise Barumwete. Pour Ndayiragije, ce genre d’appel à l’ouverture n’est pas inédit, mais rarement suivi d’actes concrets : « Ceux qui croient que le CNDD-FDD va vraiment faire appel à des expertises extérieures au parti risquent d’être déçus ».
Dans les faits, explique-t-il, les partis qui se sont montrés utiles au CNDD-FDD ne reçoivent que des miettes, les postes de décision restant la chasse gardée du parti vainqueur.
Conclusion fact-checkée
Contrairement à certaines perceptions, le Burundi n’est pas formellement revenu au monopartisme : les textes garantissent l’existence de plusieurs partis. Toutefois, les pratiques mises en œuvre avant et pendant les élections de 2025 créent un environnement politique dominé à l’extrême par un seul parti, au détriment du pluralisme, de la bonne gouvernance et de la transparence.
Les signaux d’alerte sont nombreux et méritent une attention continue de la société civile et des partenaires du Burundi.
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Photo : Révérien Ndikuriyo, secrétaire général du CNDD-FDD, qui a dénigré l’opposition lors du meeting de campagne wlwctorale du 17 mai 2025 © SOS Médias Burundi