En pleine campagne pour les élections législatives et communales de juin 2025, le président de l’Assemblée nationale, Daniel Gélase Ndabirabe, a affirmé que le franc burundais pourrait regagner fortement en valeur face au dollar dans les cinq prochaines années. Une déclaration qui surprend, alors que l’économie du pays reste marquée par une inflation élevée, un déficit commercial structurel et une monnaie en chute libre. Nous avons vérifié cette promesse à la lumière des données économiques disponibles.
Le président de l’Assemblée nationale, Daniel Gélase Ndabirabe, a affirmé lors d’un meeting à Kayanza le 14 mai 2025 que, si le CNDD-FDD remportait les élections législatives et communales du 5 juin, « dans 5 ans, le dollar s’échangera entre 1000 et 1500 francs burundais, voire moins. »
Notre verdict : Cette promesse est économiquement irréalisable dans le contexte actuel du Burundi.
Une promesse électorale déconnectée de la réalité
Lors de ce rassemblement politique, Daniel Gélase Ndabirabe a suscité la surprise en annonçant une possible revalorisation du franc burundais (BIF) jusqu’à atteindre une parité de 1000 à 1500 BIF pour un dollar américain (USD). Cette déclaration soulève de sérieuses interrogations au vu de la situation économique nationale et des tendances macroéconomiques observées ces dernières années.
Historique du taux de change et inflation galopante
L’économiste Jean Ndenzako rappelle que :
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Entre 1990 et 2005, le taux de change officiel est passé de 171 à 1025 BIF/USD.
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Après 2005, une stabilisation relative a été observée, jusqu’à la crise politique de 2015.
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Entre 2014 et 2024, le BIF a perdu 47,3 % de sa valeur.
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En 2023, une chute brutale de 38,5 % a été enregistrée, faisant passer le taux officiel à 2847 BIF/USD.
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En mai 2025, le taux officiel avoisine 2950 BIF/USD, tandis que le taux parallèle dépasse les 7500 BIF/USD.
Cette divergence entre les deux taux est un symptôme d’un déséquilibre économique profond, alimentant une inflation galopante, qui a atteint 40,9 % en mars 2025.
Un déficit commercial structurel
Selon M. Ndenzako, le Burundi souffre d’un déficit commercial chronique, important frein à toute appréciation monétaire durable. Le pays importe bien plus qu’il n’exporte, notamment des produits essentiels et des matières premières. Les exportations agricoles, jadis principales sources de devises, sont en déclin.
Faustin Ndikumana, directeur national de l’ONG PARCEM, souligne la chute dramatique de la production du café :
« On constate une mévente de stocks importants au niveau de l’ODECA. Résultat : les revenus d’exportation du café sont désormais dépassés par des produits comme la farine et la cigarette. »
Par exemple, sur un trimestre donné :
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Farine et cigarettes : 50 milliards BIF d’exportation.
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Café : seulement 30 milliards BIF.
André Nikwigize, un autre économiste, précise qu’en 1994-1995, le Burundi exportait 50 981 tonnes de café marchand. En 2021-2022, ce chiffre est tombé à 7551 tonnes seulement. La part du café dans les exportations totales est passée de 80 % à 26 %.
Le thé, autrefois deuxième produit d’exportation du pays, est lui aussi en perte de vitesse, avec une production stagnante entre 9000 et 10 000 tonnes par an, ne représentant plus qu’environ 11 % des recettes d’exportation.
Des réserves de change insuffisantes
La Banque de la République du Burundi (BRB) ne dispose pas de réserves suffisantes pour défendre sa monnaie sur le marché des changes.
Jean Ndenzako explique :
« Un pays doit disposer de réserves conséquentes pour soutenir sa monnaie. Or, les capacités financières actuelles de la Banque centrale rendent cela impossible. »
Selon André Nikwigize, les réserves en devises ont chuté à l’équivalent de 0,6 mois d’importations en 2025, contre 1 mois en 2020.
L’inflation compromet toute stabilisation du BIF
L’inflation actuelle, qui dépasse les 40 %, nuit gravement à la valeur du franc burundais. Elle pousse les acteurs économiques à se tourner vers des devises plus stables comme le dollar.
M. Ndenzako précise :
« Tant que l’inflation reste hors de contrôle, le BIF ne peut pas se revaloriser. Une réduction drastique de l’offre monétaire et une hausse des taux d’intérêt seraient nécessaires, mais cela risquerait de freiner l’économie et d’aggraver la pauvreté. »
Un climat économique peu propice
Enfin, l’environnement politique et économique global pèse lourdement. La confiance des investisseurs, indispensable à toute appréciation monétaire, est faible. Sans réformes profondes, un meilleur climat des affaires et un regain de stabilité politique, une telle revalorisation du BIF reste hors d’atteinte.
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Photo : Daniel Gélase Ndabirabe, président de l’Assemblée nationale