Le Burundi est-il confronté à une vague d’empoisonnements ou s’agit-il d’une amplification de la peur par les réseaux sociaux et des croyances populaires ? Entre faits avérés et récits alarmistes, la psychose du poison s’installe, influençant les comportements et les perceptions de la population.
Les craintes liées à l’empoisonnement ne sont pas nouvelles au Burundi, mais elles prennent une ampleur inédite avec la viralité des réseaux sociaux. Un fait divers, une rumeur, un témoignage partagé sur WhatsApp suffisent à nourrir la psychose. Entre croyances anciennes et exploitation commerciale de cette peur, les conséquences sont bien réelles.
Un cas viral ravive les craintes
Micky, une jeune femme de Kamenge dans la vingtaine, est décédée début février. Avant sa mort, elle aurait confié à une amie, via WhatsApp, qu’elle était empoisonnée et qu’elle ne l’avait découvert que trop tard, lorsque ses poumons étaient déjà gravement endommagés. Ce message a rapidement circulé sur les réseaux sociaux, notamment dans les statuts WhatsApp, intensifiant un débat déjà présent : ishano ou isumu ?
Cette méfiance croissante modifie les habitudes sociales. Les Burundais évitent de laisser leur boisson sans surveillance lors de sorties entre amis, certains allant jusqu’à recommander une nouvelle boisson après une absence, par précaution.
Fait n°1 : L’empoisonnement, un phénomène ancien
L’empoisonnement n’est pas un phénomène nouveau au Burundi. Il est ancré dans les croyances populaires, comme le démontre le mémoire de master de Dieudonné Nduwayezu, intitulé « L’ISHANO AU BURUNDI : Cas de la Mairie de Bujumbura », soutenu à l’Université du Burundi. De nombreux proverbes kirundi font référence à l’ishano et aux pratiques de sorcellerie.
Cependant, ce qui est nouveau, c’est l’ampleur de la panique, amplifiée par la rapidité de propagation des rumeurs sur les réseaux sociaux. Le Dr Herbert Jimbere, clinicien à Bujumbura, souligne que la peur d’être empoisonné alimente une crise de confiance envers la médecine moderne.
Fait n°2 : Un business exploitant la peur du poison
Selon le Dr Jimbere, les guérisseurs profitent de cette panique en décriant la médecine moderne. Ils affirment que si une personne empoisonnée reçoit une injection ou un sérum, elle mourra sur-le-champ. Cette désinformation pousse certains malades à éviter les hôpitaux, aggravant leur état de santé.

Ces guérisseurs opèrent avec un réseau bien structuré : des commissionnaires sont chargés d’orienter les patients vers eux en suggérant systématiquement un empoisonnement. Une enquête du média burundais Yaga a démontré que ces traitements sont inefficaces. Un journaliste de Yaga, s’étant présenté chez un guérisseur sans être empoisonné, a tout de même été diagnostiqué « positif au poison ».
Fait n°3 : Des facteurs aggravants
Le Dr Mozart Manishimwe, médecin à l’hôpital de Karusi, identifie plusieurs facteurs favorisant la peur des empoisonnements :
- La pauvreté : Faute de moyens, de nombreux Burundais se tournent vers des guérisseurs moins coûteux mais peu fiables.
- Le manque d’équipements médicaux : Certains examens indispensables ne peuvent être réalisés au Burundi, retardant les diagnostics.
- La méfiance sociale et les réseaux sociaux : Les rumeurs se propagent rapidement, renforçant la peur et le sentiment d’insécurité.
Dans son mémoire, Dieudonné Nduwayezu souligne que des maladies aux symptômes vagues (maux de tête, douleurs abdominales) sont souvent interprétées comme des empoisonnements en raison de diagnostics imprécis. Un médecin interrogé par Iris News déplore aussi l’absence d’infrastructures pour traiter certaines pathologies graves, obligeant certains à se faire soigner à l’étranger, une option inaccessible pour beaucoup.
Conclusion : Une peur entretenue par le manque de soins et la désinformation
Le Dr Manishimwe appelle à plus de prudence, rappelant que de nombreuses maladies peuvent imiter les symptômes d’un empoisonnement. Le Dr François Ndikumwenayo, pneumologue et président de la Burundi NCD Alliance, insiste sur l’importance d’un diagnostic rigoureux pour éviter des retards dans la prise en charge.
Quant au Dr Jimbere, il dénonce un « business du poison » exploitant la panique et plaide pour une intervention des autorités pour démanteler ces pratiques. Il souligne que la pauvreté, les lacunes du système de santé et la désinformation contribuent à alimenter cette psychose collective.
Ainsi, bien que des cas d’empoisonnement existent, la perception d’une vague massive repose largement sur des peurs amplifiées par des réseaux d’intérêts exploitant l’angoisse des populations.