Dans une interview accordée à Burundi Facts, Gabriel Rufyiri, président de l’OLUCOME, revient sur la conférence-débat sur la fuite des capitaux au Burundi. S’il salue la participation des autorités, il critique l’absence de mesures concrètes et appelle à un suivi rigoureux pour lutter contre ce fléau.
Vous étiez parmi les invités, est-ce que vous êtes satisfait ? Il y a eu fuite des capitaux et aucun responsable ou complice n’a été cité, il y a déception quand même ?
Il y a au moins trois points de satisfaction, selon moi. Le tout premier est que les autorités au plus haut sommet de l’Etat ont voulu et accepté que cette conférence-débat soit animée en leur présence : le président de la République était là de même que le Premier ministre, les ministres et le secrétaire général du parti au pouvoir, bref les décideurs de la République étaient là. Cette présence était, à mon avis, importante.
Deuxième raison de satisfaction, c’est d’avoir des autorités qui acceptent qu’un tel sujet soit abordé. Le sujet était quand même pertinent, voire un peu gênant pour certains mais ce sujet sur la fuite des capitaux a été abordé. Et nous avons tous donné non points de vue de manière libre.
La troisième satisfaction pour moi, c’est la clarté, le franchise du Professeur Léonce Ndikumana au vu des questions posés par des hauts cadres du parti au pouvoir.
Pouvez-vous donner un exemple ?
Dans la tête de certains hauts cadres surtout issus du Cndd-Fdd et c’est sur toutes les lèvres des cercles de ces hauts fonctionnaires, ils disent que les Blancs, les bailleurs, quand ils financent tel projet au Burundi, ils n’ont d’autres visées que de s’accaparer des richesses du pays et avoir un certain contrôle sur le pouvoir. Il y a deux ou trois ministres qui ont soutenu l’idée que les financements apportés par ces bailleurs, c’est pour permettre à ces derniers d’avoir une mainmise sur le Burundi.
La réponse du Pr Léonce Ndikumana a été claire. Il a expliqué que tous les pays du monde ont besoin d’aide, de fonds pour faire face aux multiples défis. Même les pays européens, à un certain moment, ont bénéficié de Plan Marshall financé par les États-Unis pour remettre sur les rails leur économie en ruine après la deuxième guerre mondiale. C’est grâce à ces fonds qu’ils sont ce qu’ils sont aujourd’hui.
Mais vous entendrez dans certains milieux proches du pouvoir dire qu’ils n’ont pas besoin de ces aides venues de l’extérieur, surtout des Blancs, mais cet expert en économie leur a rétorqué que si les fonds apportés par ces bailleurs n’apportent pas de la valeur ajoutée, c’est à cause de ces cadres.
D’un côté, ils ne savent pas négocier, et de l’autre ils ne savent pas gérer les fonds octroyés. S’ils ne savent pas négocier et s’ils ne savent pas bien gérer ces fonds, ce n’est pas le Blanc qui viendra le faire à leur place.
Au lieu de chercher à résoudre ce problème, à combler ces lacunes, à se ressaisir, ils cherchent à camoufler ces manquements et à vouloir mettre ce fardeau sur le dos des autres, à faire porter le chapeau aux autres.
Après les explications du Professeur Léonce Ndikumana, je pense qu’aucune autorité ne viendra dire que ce sont les Occidentaux qui sont à la base de leur problème, que ce sont les bailleurs qui sont responsables de leurs échecs.
Pour moi, je suis sorti de cette conférence-débat satisfait, pas déçu. De notre côté, si nous entendons encore ce genre de discours, une chose est sûre, nous aurons une réponse claire à donner.
Mais, de cette conférence-débat, l’opinion attendait qu’il y ait des révélations sur quelques responsables de la fuite des capitaux, vous n’êtes pas déçu de ce côté-là ?
Vous savez, nous n’étions pas au tribunal et le Pr Léonce Ndikumana n’était pas devant les juges, et encore moins il n’est pas juge. L’humilité, la sagesse nous obligent à avoir une certaine retenue devant une situation pareille. Mais personnellement où je suis déçu, c’est d’avoir des autorités qui parlent toujours de la gouvernance, de la lutte contre la corruption, de l’équité sociale, du bout des lèvres, des discours malheureusement creux, des beaux mots.
La conférence en soi a réussi mais c’est l’après-conférence, le suivi qui est important à mon avis. Normalement après une telle conférence, les autorités devraient prendre des décisions pour rectifier le tir, inverser la tendance, aller dans la logique de la correction de certaines choses.
Ne fallait-il pas donner au moins quelques pistes à défaut des noms ?
Dans cette conférence-débat, il n’était pas question d’établir des responsabilités, il ne s’agissait pas de donner un tel ou tel autre nom. Dans un Etat de droit, un système bien organisé, chaque institution doit faire son travail, il y a par exemple l’Assemblée nationale, il y a la Justice, la Cour des comptes et il y a également la Cellule nationale des renseignements financiers.
La première action à mener actuellement, c’est à demander à tous les mandataires publics à déclarer leurs patrimoines, ils ont refusé. C’est le premier pas. La deuxième étape, c’est de demander à tous les présumés pilleurs des deniers publics d’expliquer l’origine licite de leurs biens, ce qui n’a pas été fait jusqu’à maintenant.
Pour moi, cette conférence-débat animée par l’éminent Professeur Léonce Ndikumana sur la fuite des capitaux a été un premier pas mais il doit y avoir d’autres étapes à franchir afin que la chose publique soit protégée.