Les récentes révélations sur la fuite des capitaux du Burundi, qui auraient atteint plus de 6 milliards de dollars depuis 1970, ont provoqué un véritable choc. Lors d’une conférence à Bujumbura, le Pr Léonce Ndikumana a mis en lumière des pratiques de détournement de fonds qui continuent de hanter le pays. Si les chiffres sont accablants, l’identité des responsables reste floue. Cet article s’efforce de dénouer les fils de cette sombre affaire en vérifiant les faits et en explorant l’ampleur de cette évasion économique.
Un pavé dans la mare : plus de 6 milliards de dollars volatilisés
Lors d’une conférence-débat fin août 2024 à Bujumbura, le Pr Léonce Ndikumana, professeur émérite d’économie et Directeur du programme des politiques de développement en Afrique (PERI) à l’université du Massachusetts et co-auteur du livre La fuite des capitaux d’Afrique : les pilleurs et les facilitateurs, a présenté des chiffres qui donnent le vertige. Depuis 1970, ce sont plus de 6 milliards de dollars qui ont été siphonnés hors du pays. Ces chiffres, basés sur des études approfondies, ont jeté une lumière crue sur l’étendue des pertes économiques du Burundi.
Les plus hautes autorités du pays, dont le président Évariste Ndayishimiye, étaient présentes lors de cet exposé. L’écoute attentive des officiels, pourtant au cœur de ces révélations, n’a pas abouti à des conclusions claires concernant les responsables de cette hémorragie financière.
Les détails de la fuite des capitaux : ce que disent les faits

D’après les recherches du Pr Ndikumana, les 6 milliards de dollars volés du Burundi s’expliquent par deux principaux mécanismes. D’une part, une somme de 2,4 milliards de dollars est ce que l’expert appelle le «résidu» de la balance des paiements, ou missing money. Ce terme désigne les fonds qui échappent au contrôle de l’État et ne figurent pas dans les comptes officiels du pays. Ces montants représentent un manque à gagner colossal pour l’économie burundaise, engendrant une perte de fonds destinée à des projets de développement.
D’autre part, une autre somme de 2,7 milliards de dollars résulte de transactions commerciales falsifiées, comprenant principalement la sous-facturation des exportations et la surfacturation des importations. Ces pratiques frauduleuses permettent à certains acteurs de détourner des fonds vers des paradis fiscaux étrangers.
Ces deux catégories de détournements totalisent 5,1 milliards de dollars, qui se sont volatilisés entre 1985 et 2019. Ces chiffres, corroborés par plusieurs études indépendantes, illustrent l’ampleur du problème de fuite des capitaux, auquel le Burundi fait face depuis des décennies.
L’or burundais : une affaire trouble
L’exportation de l’or burundais représente un autre point noir soulevé lors de cette conférence. Entre 2000 et 2019, le Burundi a déclaré avoir exporté pour 765 millions de dollars d’or. Cependant, selon les registres des Émirats Arabes Unis, le montant réel des exportations d’or en provenance du Burundi s’élève à 1,4 milliard de dollars. Cet écart de 635 millions de dollars a été qualifié d’«inexplicable» par le Pr Ndikumana, qui a même parlé d’or orphelin, soulignant l’absence de traçabilité et de contrôle.
Cet écart massif, dans les chiffres de l’or exporté, révèle des failles dans la gestion des ressources naturelles et met en lumière une absence de responsabilité, tant au niveau local qu’international. La traçabilité de l’or, essentiel pour garantir la transparence dans l’industrie minière, reste un enjeu majeur pour le Burundi, surtout en l’absence d’adhésion à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), comme le souligne Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome.
La sous-facturation et la surfacturation : des pratiques endémiques
La pratique de la sous-facturation des exportations et de la surfacturation des importations est bien ancrée dans le système économique burundais. Selon le Pr Arcade Ndoricimpa, qui a mené une étude en 2023, cette pratique constitue l’un des principaux canaux de fuite des capitaux au Burundi. Pour illustrer cette fraude, 92 % des transactions d’exportation d’or et de coltan vers les Émirats Arabes Unis ont montré une sous-facturation. Cela a entraîné une perte d’environ 600 millions de dollars entre 2007 et 2019.
Mais l’or n’est pas la seule ressource affectée. Le café, autre produit clé de l’économie burundaise, est également touché par ce phénomène. Les exportations de café vers l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis ont été sous-facturées à hauteur de près d’un milliard de dollars entre 1993 et 2019. Rien qu’avec l’Allemagne, les pertes sont estimées à 501 millions de dollars.
Où sont les responsables ?
Malgré l’ampleur des pertes et la gravité des accusations, les responsables de ces détournements continuent de jouir d’une impunité quasi totale. Gabriel Rufyiri n’hésite pas à affirmer que « les corrompus sont devenus plus puissants que l’État lui-même ». Il mentionne également l’absence de poursuites judiciaires sérieuses contre ceux qui sont soupçonnés de détourner les fonds publics et d’exporter illégalement des capitaux.
Le président Ndayishimiye a fait quelques révélations supplémentaires lors de cette même conférence, évoquant des pertes liées à l’exportation de café entre 2016 et 2019, qui ont atteint 17 millions de dollars. Selon lui, les employés de l’Office du Développement du Café (ODECA) ont dissimulé des données, et un détournement de 3.000 tonnes de café a été découvert après vérification des importations et exportations. Cependant, une fois de plus, ces révélations n’ont pas encore donné lieu à des actions concrètes.
Un procès pour l’exemple, mais est-ce suffisant ?
Le procès de l’ancien Premier ministre burundais, condamné à perpétuité pour atteinte à l’économie nationale et autres crimes graves, est souvent cité comme un exemple de justice. Toutefois, de nombreux observateurs estiment que ce procès, bien qu’important, n’est qu’un cas isolé. En effet, les autres responsables de cette hémorragie financière semblent échapper à toute forme de responsabilité.
En conclusion : Un avenir incertain pour l’économie burundaise
Les révélations faites lors de cette conférence pointent vers une crise profonde de gouvernance économique au Burundi. Les montants astronomiques qui échappent à l’économie nationale empêchent le pays de financer des projets essentiels à son développement. Le Pr Ndikumana a souligné que la traçabilité des revenus miniers et la lutte contre la fausse facturation sont des étapes cruciales pour freiner la fuite des capitaux. Cependant, sans une véritable volonté politique et des actions judiciaires fortes, il est peu probable que la situation évolue de manière significative.
Le secteur minier, notamment l’or, pourrait contribuer jusqu’à 30 % du PIB burundais si les ressources étaient correctement exploitées et gérées avec transparence. Mais pour cela, une réforme en profondeur du système économique et une lutte acharnée contre la corruption sont indispensables.
Points clés vérifiés :
- 6 milliards de dollars de fuite des capitaux depuis 1970.
- 635 millions de dollars d’écart dans l’exportation de l’or vers les Émirats Arabes Unis.
- 17 millions de dollars perdus dans l’exportation de café entre 2016 et 2019.
Près de 1 milliard de dollars de pertes liées à la sous-facturation des exportations de café, d’or et de coltan vers l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis.
Pour en savoir plus, lisez cette interview exclusive avec Gabriel Rufyiri, président de l’OLUCOME, où il partage ses réflexions sur la fuite des capitaux et l’importance d’actions concrètes.